Distribution :
Gérard Darman, Pierre Gondard, Patrick Pelloquet, Christine Peyssens, Yvette Poirier, Georges Richardeau
A l’affiche :
Jusqu’au 22 avril 2017
Lieu :
Théâtre 14
20, avenue Marc Sangnier
75014 PARIS
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Ingmar Bergmann pour Carré Or TV
On ne peut que prescrire
cette dose de rire
Nous sommes au Théâtre Quatorze, dont le Plateau est occupé par un décor signifiant un intérieur vieillot, désuet et poussiéreux, n’offrant probablement que des perspectives étriquées à ceux qui sont contraints d’y habiter. Les costumes sont des vêtements défraîchis et démodés, qui évoquent la fin des années soixante-dix du vingtième siècle, quand les petits employés et les petits commerçants portaient des blouses grises – autrement dit : le tout-petit-bourgeois ou celui qui aspire à le devenir (et à le rester), si possible provincial, qu’on a déjà rencontré dans le théâtre de Georges Courteline et de Georges Feydeau. D’emblée, le spectre sociologique dans lequel s’insèrent les personnages du « Serment d’Hippocrate », nous semble implacable et sans horizon autre que morne – ou alors : franchement inaccessible.
Absolument génial !
Dès le début de l’action, l’ambiance de ce qui ressemble à ce que serait un « vaudeville prolétaire » – c’est-à-dire : écrit de façon distanciée par des gens qui n’en sont pas ; mais n’est-ce pas le début d’une critique sociale ? – nous plonge dans un univers qui, nonobstant le caractère irrévérencieux du raccourci, pourrait parfois être confondu avec celui des Bidochons ayant réussi – dans le voisinage de Monsieur Perrichon.
L’auteur, Louis Calaferte (Turin, 1928 – Dijon, 1994) est notamment un dramaturge prolifique, qui exploite, dans ses pièces, le thème de la relation familiale, en usant d’une tonalité drolatique et inquiétante à la fois. Selon Patrick Pelloquet : « les personnages de Louis Calaferte sont davantage des stéréotypes de comportements que des personnages au sens restrictif du terme », évoluant dans un décor en huis clos.
En outre, le comique de répétition (« Tout à l’heure ! ») nous évoque la farce qui constituait l’essentiel du répertoire du théâtre des troupes itinérantes, lorsque Molière faisait ses armes en parcourant la France dans d’inconfortables roulottes. Pour ceux qui s’interrogent, le théâtre de Louis Calaferte est clairement lié à la tradition du théâtre français.
La dérision prend le pas sur la gravité
On s’engueule au-dessus du corps de la vieille femme supposée à l’article de la mort, et la conversation entre sa fille et son gendre, devient très rapidement un dialogue de sourds, hystérique – mais qui n’est pas sans truculence. On se parle sans s’entendre – pour ne pas dire : sans s’écouter – et la situation du brouhaha familial persistant, à la limite du caricatural, devient rapidement une assez bonne métaphore des difficultés avec lesquelles les êtres humains font société : ne parvenant jamais à parler d’une seule voix ou, simplement, à échanger de façon constructive, à élaborer ensemble – ou seulement dans l’impatience et l’agacement – quand ce n’est pas dans la virulence et l’intolérance, hélas.
S’il n’est, tout d’abord, question que d’économies de bouts de chandelles, on entendra bientôt toute la collection des petites phrases mesquines qui nous révèlent l’indigence des comptabilités familiales, des rivalités entre les familles, des relations avec le voisinage hostile, ou supposé hostile, ou rendu hostile par notre propre méfiance irraisonnée – et, parmi tous ces thèmes, celui de la sénilité, présente et à venir, et de laquelle on craint tous d’être un jour la victime, s’impose très rapidement comme l’un des sujets majeurs de la pièce – à juste titre, car elle constitue un intense axe de réflexion pour les années à venir, du fait du vieillissement de notre société. Ainsi, l’auteur du « Serment d’Hippocrate » fait montre d’une remarquable clairvoyance à l’endroit de notre évolution actuelle.
Passé un certain âge, l’être humain retombe en enfance et redevient, de ce fait, complètement vulnérable. Il n’est pas de meilleure manière pour parler de la fragilité de l’individu – dont on s’affranchit pour quelques années à peine – que d’évoquer la vieillesse, à fortiori à notre époque actuelle : le mot lui-même n’est-il pas devenu tabou ?
Une comédie intelligente !
Dans notre société actuelle, le « vieux » n’a plus son mot à dire sur rien – y compris sur ce qui le concerne. La vieillesse vous transforme en cible ; les anciens ne jouissent plus du statut qui faisait qu’autrefois, on les révérait, ne serait-ce que du fait de leur expérience de la vie – ce dont la pièce de Louis Calaferte fait parfaitement état. Dans « Le serment d’Hippocrate », les enfants s’acharnent sur leurs parents comme pour se donner bonne conscience – et deviennent ainsi les suppôts du médecin-bourreau. « Chacun son métier », dit le médecin, pendant qu’il torture littéralement le patient ; en même temps qu’il se présente lui-même comme un martyr de la cause. Il y a un sacerdoce du médecin.
Naïveté de ceux qui n’y connaissent rien. Vulnérabilité du commun devant le spécialiste.
Dans notre société ultra-sophistiquée, il y a des spécialistes pour tout, auxquels on se soumet aveuglément ; et, puisque la science a valeur de religion, le spécialiste est son prêtre : il a raison sur l’expérience de tous les autres et les précipite dans l’inutile – un enterrement avant l’heure, mais qui ne dit pas son nom.
« Il faut un médecin pour vivre et un médecin pour mourir, on n’a pas encore trouvé mieux. »
Dans « Le serment d’Hippocrate », la passion pour les médecins est très abondemment développée, et nous évoque irrésistiblement l’œuvre de Molière, qui se moquait déjà de leur jargonnage professionnel, de leur appétence scatologique ou, encore, de leur engouement pour le « lavement », et révélait déjà à quel point l’acharnement médical du médecin est dangereux pour la santé. C’est le médecin qui est dangereux – la maladie n’est que le moyen par lequel le médecin est un danger pour l’être humain.
Vivre et laisser mourir – Un art d’être médecin
De même encore, on continue de retrouver Molière dans la malédiction à l’encontre du malade, proférée par son médecin : menaces, terrorisme, on a peur de fâcher son médecin, de se mettre à dos son médecin et d’être abandonné à tous les diables. À bien des égards, nous vivons encore comme au dix-septième siècle…
« L’oreille, c’est l’intestin de la tête » – et autres vérités douteuses – nous évoquent le savoir prétendument scientifique du personnage de Toinette, la servante déguisée en médecin, dans « Le Malade Imaginaire » de Molière, pour qui l’ignorance crasse proclamée haut et fort, se confond très souvent avec le savoir. Ainsi, le goût pour les citations latines, utilisées en paravent, et servant, ainsi, à cacher la médiocrité de ceux qui les emploient, nous évoque encore les procédés dénoncés par Molière mais – même si les moyens ont évolué – qui n’ont pas perdu de leur pertinence : quelle que soit l’époque, on cache son incurie derrière une érudition de façade – qu’on est très loin de maîtriser et dont notre auditoire n’a pas les clés non plus.
Le médecin révèle le malade ; l’arrivée du médecin créé le malade et la maladie – sans médecin, pas de malade. La maladie est le fond de commerce du médecin. « On n’est pas fait pour guérir, on est fait pour soigner » – qu’il soit volontaire ou involontaire, le cynisme accompli des médecins de Louis Calaferte nous évoque encore celui du personnage de « Knock », dans la pièce éponyme de Jules Romain.
Quant à l’énumération de bouffe – non pas jouissive, comme avec un François Rabelais, chantre de l’excès ; mais coupable ou accusatrice, comme chez les médecins de Molière, sans oublier un certain racisme néo-colonial alimentaire, à visée supposément de salubrité publique universelle, qui constitue en fait la version contemporaine pour l’action de « civiliser » – elle fait qu’on se croirait, pendant un moment, chez Eugène Ionesco. Au-delà du ridicule des situations les plus banales, le théâtre d’Eugène Ionesco représente de façon palpable la solitude de l’être humain et l’insignifiance de son existence – ce qui semble caractériser assez bien les situations sur lesquelles Louis Calaferte nous invite à porter notre réflexion.
On soigne la personne non malade et on finirait presque par la tuer – pendant qu’on laisse mourir la seule personne qui aurait eu besoin de soins – métaphore de notre société, qui se passionne très souvent pour les faux débats consacrés à de faux problèmes, et néglige de s’intéresser aux questions cruciales du siècle. « Le serment d’Hippocrate » nous parle de notre réalité et nous incite à prendre du recul sur ce que nous vivons – une raison supplémentaire de nous rendre au théâtre en famille…
Comédiens qui ne ménagent pas leur peine ! On ne voit pas passer le temps ! Excellent pour les zygomatiques ! Bravo aux acteurs ! Nous recommandons pour passer une excellente soirée !
Quel bonheur du début à la fin ! Sur un rythme effréné, le metteur en scène nous cloue au fauteuil et nous offre 1h30 de bonheur sur ce texte ciselé à souhait. Cette situation poussée dans la démesure nous amène à nous interroger sur ce qui se passerait si nos médecins ressemblaient à ces deux caricatures. C’est réglé à la perfection et les six comédiens s’en donnent à coeur joie pour notre plus grand plaisir. C’est drôle, caustique, mais jamais vulgaire ; une réussite !
Quelle joyeuse comédie autour d’un malaise, d’une famille et des spécialistes de la santé… Car ils s’impliquent les « hommes de l’art » ! En fait la maladie serait parfaite si elle n’ était pas constamment gâtée par ces individus insupportables que l’on nomme malade ! Ils ont le front « les bougres » de n’avoir pas mal où il conviendrait, de refuser les traitements et les conseils… Je vous l’assure à vous dégoûter de les traiter ; comment ? vous avez dit guérir ! et puis quoi encore !