A l’affiche :
Jusqu’au 26 août 2017
Lieu :
Théâtre le Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs
75006 PARIS
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Par Ingmar Bergmann pour Carré Or TV
Un bel hommage
à une fabuleuse humoriste
» Christophe Dellocque fait sa Sylvie Joly » est un spectacle réalisé avec la collaboration artistique de Sylvain Maurice, dont nous avons précédemment eu l’occasion de voir le travail d’adaptation et de mise-en-scène du spectacle « Réparer les vivants », d’après le roman de Maylis de Kerangal, au Théâtre des Abbesses.
L’idole et la marche du temps.
Un acteur est seul en Scène, comme c’est souvent le cas au « Paradis » du Théâtre du Lucernaire, où nous sommes venus plusieurs fois, tantôt pour applaudir l’acteur Philippe Calvario dans « Les visages et les corps » de Patrice Chéreau, tantôt pour applaudir l’actrice Sylvie Dorliat dans « La petite-fille de Monsieur Linh » de Philippe Claudel ; mais ils sont très nombreux à s’approprier, le temps d’un tête-à-tête avec le Public, cette petite salle parisienne, dont les Spectateurs apprécient l’intimité. À présent, nous venons voir le travail de Christophe Dellocque en train de nous faire « sa » Sylvie Joly. Faut-il avoir des références, afin de pouvoir apprécier ce spectacle ?
Christophe Dellocque imite une imitatrice. Ce soir, nous avons un rendez-vous un peu particulier avec Sylvie Joly, l’actrice et humoriste qu’on ne présente plus. Comme elle nous a quittés en 2015, c’est l’acteur Christophe Dellocque qui se chargera de la remplacer, au propre et au figuré ; il n’est nul besoin d’avoir des références afin d’apprécier sa prestation.
Ce spectacle nous offre à voir l’histoire d’amour d’un homme pour une femme qui fut choyée par le succès. Pourtant, en dépit de son indéniable virtuosité lorsqu’il convoque, pour nous, et avec une grande justesse et beaucoup d’intégrité, la figure de Sylvie Joly, l’endroit où Christophe Dellocque est le plus saisissant, c’est lorsqu’il nous décrit le petit garçon qu’il fut, admirateur de l’inaccessible actrice ou, encore, l’acteur expatrié au Cambodge pendant cinq ans qu’il fut aussi, à une période plus récente, et cela plus encore que lorsqu’il cherche à faire revivre son idole, car tous ne la connaissent pas aussi bien que lui ; ne parlons pas de ceux qui ne pourront jamais la connaître, appelés à être de plus en plus nombreux, car le temps passe et nous oublie.
L’observatrice observée.
Christophe Dellocque assume donc avec beaucoup de brio, en toute bonne foi et avec une grande intégrité, l’exercice ardu que représente ce singulier hommage, pathétique comme le sont tous les hommages posthumes, mais non sans intérêt dans sa dimension sublime et irréaliste, et sa nature improbable parfaitement assumée, pour ne pas dire : joyeusement revendiquée.
Christophe Dellocque dit, lui-même, de son spectacle que ce n’est pas William Shakespeare, que ce n’est pas Sophocle, que ce n’est pas Euripide, que ce n’est pas Jean Racine et que ce n’est pas Pierre Corneille ; autant de dramaturges à la trajectoire prestigieuse, dont il a, très souvent, défendu la parole et qui lui ont donné la passion pour le verbe, qu’il avait en commun avec Sylvie Joly, et qui a la part belle dans son spectacle-hommage à la grande dame qui avait une grande gueule.
Christophe Dellocque nous parle aussi de la France de la fin de la période bénie dite « des Trente Glorieuses », telle qu’elle est vue et donnée à voir par l’une de ses contemporaines, sachant qu’il est, lui aussi, un contemporain de cette observatrice, quoiqu’il soit nettement plus jeune qu’elle. Ainsi, nous pouvons dire de Christophe Dellocque qu’il est un observateur observant l’observatrice ; autrement dit, par cette mise-en-abyme en forme de poupée russe, il nous suggère, et sans s’en rendre compte, un insolent sous-titre pour son spectacle, qu’on formulera, ici, avec un brin de provocation : « l’observatrice observée ».
Sylvie Joly nous parle de Christophe Dellocque.
Outre les imitations, brillantes, qui flattent l’acteur et le public averti, on se surprend aussi à avoir envie d’allers-et-retours supplémentaires entre Christophe Dellocque et Sylvie Joly ; et on aimerait qu’il multiplie encore le nombre des ponts qu’il jette, de façon très touchante, entre cette époque révolue et la nôtre, qui ne manquent pas de points communs.
Même si Christophe Dellocque l’évoque effectivement au détour d’une scène, au-delà de l’explication analytique, avec laquelle il pense nous égarer en parlant de son « complexe d’Œdipe », une réflexion qui n’est pas sans pertinence quoique la véritable question qui se pose, serait plutôt celle de son « narcissisme », on aimerait en savoir plus, encore, sur ce qui pousse un jeune garçon, puis un jeune homme, puis un homme, à s’enthousiasmer avec une telle émotion et une constance à ce point indéfectible, pour cette femme qui aurait pu être sa mère. De même, on aimerait en savoir plus sur ce en quoi il se reconnaît et s’identifie en elle, car c’est bien de cela, qu’il s’agit : qui est Sylvie Joly en lui ou, formulé autrement : qu’y a-t-il de Sylvie Joly en lui, et qu’y a-t-il de lui, en Sylvie Joly ?
Avec son spectacle, Christophe Dellocque touche du doigt beaucoup de ce qui est l’essentiel ; malgré l’intransigeance des diktats du genre et des conventions du théâtre, on aimerait qu’il s’autorise encore plus à s’éloigner de la surface des choses, sans avoir peur de nous lasser ni de perdre en légèreté, car le Public est avec lui du début à la fin et en redemande, et ne craint pas la pesanteur, avec un passeur tel que Christophe Dellocque. On voudrait encore moins de pudeur, car il est probable que « sa » Sylvie Joly soit moins intéressante que Christophe Dellocque lui-même, qui nous montre, pendant une heure et quart, qu’il ne craint pas d’être téméraire. Pour cette raison, afin de patienter durant la préparation d’un éventuel spectacle sur son expérience cambodgienne, on attend un second opus de Christophe Dellocque qui nous permettrait, ainsi, de pouvoir profiter d’un diptyque « Joly-Dellocque ». Même si ce titre serait moins vendeur et plus narcissique, à quand le spectacle : « Sylvie Joly fait son Christophe Dellocque » ?
Ce spectacle autour de cette artiste disparue est une belle évocation sans vraiment apporter un plus aux interprétations. C’est plaisant sans plus.