Artistes :
Jina Demba, Valentin Decarbonnières et Julien Vasnier
A l’affiche :
Jusqu’au 28 juillet 2018
Lieu :
Théâtre Lucernaire
55, rue de Clichy
75009 PARIS
Par Ingmar Bergmann pour Carré Or TV
Toutes les couleurs de l’âme humaine
Avec beaucoup de grâce, l’actrice Jina Djemba interprète le rôle-titre du spectacle « Miss Nina Simone », mis en scène par Anne Bouvier d’après le roman de Gilles Leroy, actuellement à l’affiche au Théâtre du Lucernaire (direction Benoît Lavigne). Nous la rencontrons deux heures avant de monter sur la Scène, afin de l’écouter nous parler de la genèse d’un projet chaleureux autant qu’audacieux, de sa joie de travailler avec une équipe magnifique, et de la passion que l’on peut éprouver pour certaines figures charismatiques de nos contemporains, dignes de nous inspirer même quand, parfois, on n’a pas eu la chance de les connaître. Heureusement, cette évocation théâtrale, touchante autant que singulière, nous aide à compenser une partie de ce préjudice…
Un spectacle à voir à tout âge, avec les êtres chers que la vie nous offre.
IB : Jina Djemba, pouvez-vous nous parler de votre parcours artistique ?
JD : J’ai commencé au Cours Florent, quand j’avais dix-sept ans, où j’ai rencontré Anne Bouvier, qui a été mon premier professeur de théâtre ; j’avais commencé la découverte du théâtre au collège et au lycée, puisque j’étais en option-littéraire et, après ça, j’ai préparé le concours du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris ; j’y suis rentrée quand j’avais dix-neuf ans, en 2005, et j’en suis sortie en 2008 ; voilà pour la formation. Dix ans, déjà, ont passé ! Après la formation, j’ai beaucoup travaillé, j’ai beaucoup joué. J’ai beaucoup joué au théâtre, j’ai joué au Théâtre de la Tempête, au Théâtre de l’Athénée, j’ai joué à Avignon, j’ai joué, aussi, au Théâtre de l’Atelier, sous la direction de John Malkovich, dans « Les liaisons dangereuses » (d’après le roman de Pierre Choderlos de Laclos paru en 1782, 2012, ndlr) dont, pendant deux ans on a fait, aussi, une tournée mondiale. J’ai fait beaucoup de tournages, à la télévision notamment ; une série sur M6 qui s’appelait « Les bleus » (créée par Alain Robillard et Alain Tasma, 2006-2010, ndlr), à l’époque, entre autres. Je crois que j’ai tourné pour presque toutes les chaînes : France 2, TF1 régulièrement, d’ailleurs et, ces dernières années, je fais de plus en plus de cinéma ; notamment Paul Verhoeven, j’ai tourné avec lui dans « Elle » (2015, ndlr), Etienne Comar sur « Jango » avec Reda Kateb (d’après la vie de Jango Reinhardt, 2017, ndlr). Depuis la fin des « Liaisons Dangereuses », le théâtre me manquait, donc j’ai adapté ce texte de Gilles Leroy : « Nina Simone, roman » (paru dans la Collection Bleue des Editions du Mercure de France, filiale de Gallimard, Paris, 2013, ndlr).
IB : Pouvez-vous nous parler de votre relation avec la metteuse-en-scène Anne Bouvier, est-ce que vous aviez déjà travaillé ensemble et est-ce que vous pouvez nous parler de la genèse du projet ?
JD : Anne Bouvier, je dis toujours que c’est « ma petite fée », c’est « ma belle étoile », parce qu’elle a toujours été là, elle a toujours ponctué mon parcours, elle m’a aidée, à chaque fois, à préparer mes concours et, notamment, comme je le disais : aux Cours Florent où elle était mon premier professeur, elle m’a préparée au concours du Conservatoire et de la Classe Libre, que j’ai eus la même année, ensuite au prix Sylvia Monfort, qui récompense l’espoir féminin de la tragédie, que j’ai eu aussi (2006, ndlr) et, indépendamment du fait qu’elle me porte chance, on a eu un vrai coup de cœur humain et total. C’est une femme que je trouve brillante, passionnante, talentueuse, extrêmement douée en tant qu’actrice, parce qu’elle n’est pas que metteuse-en-scène. On avait déjà travaillé sur un projet ensemble, en 2004 ou 2005, « Terminus » d’Hadrien Raccah, à l’Espace Rachi, trois personnages sur scène et je jouais une chanteuse de jazz, j’attendais d’avoir le bon texte, et je suis tombée sur ce roman de Gilles Leroy, que j’ai commencé à l’adapter, un petit peu, moi-même, de mon côté et, comme Anne connaissait un peu mieux l’exercice, je l’ai contactée, et on a travaillé sur l’adaptation ensemble, main dans la main, on a échangé aussi des idées de mise-en-scène ensemble, comme c’est un peu mon bébé, ce projet-là, elle a accepté cette idée, elle m’a soutenue, et elle a été là, en permanence, elle est assez précieuse, comme artiste et comme être humain.
IB : Pourquoi un spectacle autour de Nina Simone et quelle est la dimension politique de ce spectacle ?
JD : Vaste question ! Pourquoi un spectacle sur Nina Simone ? Je suis vraiment tombée par hasard sur ce roman, parce que je connaissais un peu mieux la vie de Billie Holiday et, du coup, Nina Simone m’est tombée dans les mains, en lisant le roman, parce que j’ai trouvé ça particulièrement bien écrit, et j’ai surtout aimé la relation fictive existant entre « Ricardo », l’intendant de « Nina », et « Nina », à Marseille, qui l’a accompagnée jusqu’à la fin de sa vie ; sauf que cette relation n’a jamais existé, ce personnage est inventé par l’auteur, et j’ai trouvé ça très théâtral, et c’est pour ça que je me suis dit qu’un huis clos faisait sens. Ensuite, c’est un hommage, aussi, à ma maman, qui elle, était russe, slave, car je suis métis russo-camerounaise, et ma mère s’appelait Nina aussi, donc c’était une femme, aussi, haute en couleur, blonde aux yeux bleus, donc diamétralement opposée, physiquement, à Nina Simone mais, en tout cas, dans la grandeur, les éclats de voix, les éclats en général, de ces femmes, de ces divas, il y avait beaucoup de similitudes ; donc c’est une forme d’hommage, de double hommage : à Nina Simone, et à ma Nina à moi. Ensuite, pour ce qui est de la portée politique, de toute façon, aborder des personnages tels que Nina Simone, Maya Angelou, Simone de Beauvoir, toutes ces femmes qui ont marqué leur temps, qui ont traversé, comme ça, des générations, c’est important, je trouve, aujourd’hui, parce que je trouve qu’être artiste, c’est savoir se faire l’écho de sa société, et je trouve que Nina Simone incarne vraiment ça : l’implication, le militantisme, parfois peut-être jusqu’à l’extrême, parce qu’elle tenait des propos compliqués, par moments, mais j’essaie toujours de ne jamais la condamner, et je trouve que c’est une femme qui a fait évoluer les choses pour les femmes noires, pour les femmes tout court, pour les femmes artistes ; parce que son rapport aux hommes était très complexe, et je trouve que c’était une femme qui avait du poids et qui en avait sous le pied, et elle l’a prouvé maintes et maintes fois donc, jouer ça, aujourd’hui, ça fait sens avec tout ce qui se passe, ça fait écho, forcément, au mouvements divers qu’on a, aujourd’hui et, du coup, c’est un peu un hasard mais, finalement, les gens s’y retrouvent.
IB : Quelles difficultés avez-vous surmontées, sur ce projet ?
JD : Maintes difficultés ! On en a eu quelques-unes mais pas majeures, je me rends compte qu’on n’en a pas eu énormément. J’ai mis deux ans, à monter ce projet, avec d’énormes pauses. Il a juste fallu, pour moi, ce qui m’a un peu précipitée, créer ma compagnie, devenir productrice, choses que je ne connaissais pas : jusqu’à présent, j’étais interprète, donc il fallu prendre tout ça à bras-le-corps, faire les demandes de subventions, donc être particulièrement bien entourée, et j’ai un administrateur qui est absolument formidable, qui s’appelle Jérôme Réveillère, qui m’a énormément aidée, donc j’ai vraiment constitué un groupe, une équipe, qui pouvait m’aider à aller au bout de toutes ces démarches et, finalement, on a eu le Théâtre du Lucernaire assez rapidement, parce qu’on faisait des lectures, des showcases et, à une lecture, Carine Letellier qui est programmatrice, ici, et administratrice, nous a proposé de travailler et venir jouer la pièce ici, et ça faisait sens et, au vu de la programmation, ici, ça collait totalement et, donc, de difficultés, on n’en a pas eu tant que ça. Finalement, je réalise que c’est plus le processus de commencer à rentrer dans des calculs, dans des choses auxquelles je ne pensais pas devoir me coller, un jour, mais c’est génial parce que, du coup, j’ai fait cette formation en accéléré.
IB : C’est drôle, parce que, la question, c’est : « quelles sont les difficultés ? » et vous répondez par une description de toutes les portes qui se sont ouvertes facilement !
JD : C’est vrai ; mais parce que les planètes étaient particulièrement bien alignées ! On a fêté, aussi, les quinze ans de sa mort, chose qu’on ne savait pas ; c’est l’auteur, Gilles Leroy, qui est un être fantastique, qui m’a fait confiance, aussi, de même que Le Mercure de France, la maison d’éditions, et qui m’a annoncé ça, peut-être une semaine avant qu’on joue : « mais tu sais que le vingt-et-un avril, on fêtera les quinze ans de sa mort ? Elle est morte le vingt-et-un avril 2003 ! » alors que nous, on ne savait pas, et on démarrait le dix-huit avril ; en fait, il y a beaucoup d’indices, comme ça et d’événements. Du coup, chez les journalistes, il y a une curiosité, qui s’est imposée. On a aussi un attaché de presse magnifique, Pascal Zelcer, qui a fait un travail énorme ; oui, des difficultés, il y en a toujours mais, après, tout est relatif. J’ai beaucoup d’amis qui montent des projets et pour qui c’est beaucoup plus laborieux.
IB : Avec ce spectacle, que souhaitez-vous communiquer au spectateur, et qu’est-ce qui va le surprendre ?
JD : Enormément de choses ! Ce qu’il est important de dire au spectateur, et je pense que les spectateurs qui sont venus jusqu’à présent, de même que les journalistes et les professionnels, l’ont compris, c’est qu’il s’agit d’un hommage à une femme multiple, une femme tourmentée, une femme habitée par des démons, qui avait du mal à trouver sa place, et qui était habitée par un sentiment d’injustice, de frustration, donc j’ai envie, j’espère, en tout cas c’est ma démarche, au travers ce personnage-là et ses différentes voix (parce que Nina Simone souffrait de bipolarité ; c’était un personnage imprévisible), parvenir à raconter combien l’être humain peut être tout et son contraire, paradoxal et, en même temps, doté d’un génie énorme et avoir connu une carrière aussi monumentale que celle qu’elle a connue ; du coup, malgré ça, elle a quand-même terminé sa vie en étant particulièrement triste et seule, et elle considérait toujours qu’elle n’était pas à sa place, que ça n’aurait pas dû être son chemin de vie, sa destinée : devenir une chanteuse de jazz ; elle voulait être concertiste de piano classique, entre autres.
IB : Quel est l’avenir de ce spectacle, s’il n’est pas prématuré d’en parler ?
JD : Au contraire, ça tombe bien, parce qu’il va être repris au Théâtre de l’Œuvre à partir du huit juin donc, là, on termine ici le deux juin, et on enchaîne le huit juin jusqu’au vingt-huit juillet, pour trente dates exceptionnelles ; et on est très heureux, c’est magique, ce qui se passe, c’est très chouette et, après, Avignon, merci beaucoup, et on verra pour la tournée, chaque chose en son temps mais, là, c’est le Théâtre de l’Œuvre qui arrive rapidement.
IB : Que puis-je dire à mon entourage, pour lui donner envie de voir ce spectacle ?
JD : S’ils ont envie, déjà, de découvrir la face cachée du personnage hors du commun qu’était Nina Simone, pas uniquement la chanteuse, et ce qu’on peut voir, au travers d’images d’archives, ou des extraits de concerts, vraiment, la femme torturée, mais pas seulement : une femme drôle, aussi, qui avait de l’humour, aussi, sur elle-même, de l’autodérision et, si les gens ont envie d’entendre, aussi, de la musique, ses chansons, chantées à ma façon, parce que je n’essaie, en aucun cas, d’imiter Nina Simone, loin de là mais, en tout cas, j’ai le sentiment de restituer, par rapport à ce que les gens me disent, une certaine couleur de cette femme et, les gens qui l’ont connue, la retrouvent et, ça, à chaque fois, ça me bouleverse, parce que je me dis que je ne me suis pas trompée donc : si on a envie de passer un moment, pendant une heure et demie, à traverser, un peu, les méandres, et de rentrer dans un salon, de regarder à travers la fenêtre, comme si vous étiez avec nous, dans ce salon, à Marseille, en tant que voyeur, quelque-part, et apprendre énormément de choses, sur elle, sur son parcours et sa fin de vie et écouter de la musique, de la belle musique, il faut venir. Il y a aussi Julien Vasnier, qui signe la musique, qui joue en « live », aussi, et de plusieurs instruments, notamment de la flûte traversière, du piano, de la guitare, il est particulièrement doué et je trouve ça très beau. On est quand-même trois jeunes interprètes : Valentin de Carbonnières, qui joue « Ricardo », « Balthasar » et « Gonzales », avec qui j’étais au Conservatoire, à l’époque, est un très grand acteur, très habile, qui a trois casquettes : il est à la fois « narrateur », « Ricardo » et « journaliste » à un moment donné et, j’ai le sentiment qu’on ne s’ennuie pas, car il y a un rapport au théâtre qui est assez cinématographique, finalement ; parce que c’est très séquencé, et ça parle à plein de générations. On a eu toutes sortes du publics : on a eu des gens très jeunes, et des gens très âgés ; c’est universel.
IB : Quels sont vos projets artistiques, pour les saisons à venir ?
JD : Mes projets artistiques… J’attends une réponse d’un gros, gros tournage, qui sera tourné en anglais et en français, entre le Canada et la France, qui démarre au mois de septembre, donc ça, je vais le savoir très, très vite ; c’est ce qu’il y a de plus concret. Ensuite, j’ai passé beaucoup d’auditions, plus particulièrement des castings, pour des tournages. Ensuite, la pièce, là, va me prendre quand-même pas mal de temps, parce qu’il va falloir, déjà, terminer le Théâtre de l’Œuvre (direction Benoît Lavigne, ndlr), voir un peu la suite des événements, et moi, j’écris aussi, des choses, courts-métrages, longs-métrages, et j’aimerais bien développer aussi ça. J’écris principalement pour le cinéma et, de plus en plus, aussi pour le théâtre, et la mise-en-scène, aussi, ça m’intéresse, de prendre uniquement cette casquette-là, à terme, en tout cas je sais que je le ferai ; maintenant, les projets, il y en a qui se présentent un peu, j’attends que ça se concrétise, mais il y a de chouettes choses qui arrivent !
Une pièce qui fascine et qui séduit.La mise en scène et les excellents jeux de lumières nous immergent dans l’intime de Nina Simone.Le jeu remarquable de naturel(force et fragilité) de Jina Djemba,sa voix magnifique nous transportent à tel point que nous voyons et entendons Nina Simone.Ricardo est excellent ainsi que le pianiste.Une réussite et une Artiste magnétique!
Très agréable moment passé à regarder cette pièce. L’actrice principale joue à la perfection. Je recommande.
Un musicien et 2 acteurs de grand talent. La chanteuse a une voix magnifique. Nous avons réellement passé la soirée aux côtés de Nina Simone ! Merci pour ce beau moment.