Criminel à la Manufacture des Abbesses

affiche-criminel

Artistes : 

Frédéric Andrau, Morgan Perez, Blanche Veisberg, Sophie Vonlanthen

A l’affiche :

Jusqu’au 17 avril 2018

Lieu :

Manufacture des Abbesses

7, rue Véron

75018 PARIS

Réservation en ligne
Réservation en ligne
Photo de Gael Rebel
Photo de Gael Rebel

Par Ingmar Bergmann pour Carré Or TV

 

Crime singulier,

conséquences multiples. 

Scénographie et costumes :

une esthétique élégante et soignée. 

 

D’emblée, on remarque la scénographie élégante et chaleureuse, qui n’est pas sans agrément pour le Spectateur, et qui peut faire songer les plus érudits à l’architecture raffinée du finlandais Alvar Aalto. On attend impatiemment le jour où, dans le cadre d’une reprise en tournée, la structure scénique sera implantée au beau milieu d’une scène circulaire au diamètre doublement plus grand, elle-même étant au centre d’un théâtre en rond. La fusion serait parfaite. De même, les costumes sont efficaces, et dessinent finement les personnages, en créant des silhouettes caractéristiques, précises et singulières, ce qui les distingue absolument les uns des autres, qui sont tout autant de caractères résolument contrastés.

Photo de Gael Rebel
Photo de Gael Rebel

« Nervous breakdown ». 

 

Dès la première scène, le ton est donné par celle qui s’adresse ainsi à son mari, tâchant de décrire l’intranquillité de son état : « midlife crisis ». Nous sommes donc en train d’assister à des conversations entendues entre des gens bien informés, qui lisent les publications contemporaines, qui s’y connaissent ou pensent s’y connaître en beaucoup de choses ou, quand ce n’est pas le cas, qui affectent de s’y connaître ; et leur propos trahit le long cheminement de leur introspection analytique.

Un auteur singulier mais qui dialogue avec ses pairs. 

 

Le cours de la pièce est rythmé par les très nombreux allers-et-retours entre le passé et le présent des situations vécues par les différents caractères, un peu comme dans la pièce « Trahisons » du dramaturge britannique et Prix Nobel de littérature Harold Pinter, créée en 1978 au Royal National Theatre de Londres. En effet, avec cette pièce du dramaturge Yann Reuzeau, nous sommes invités à écouter une écriture évoquant le théâtre britannique le plus contemporain, qui nous rappelle encore la pièce « En roue libre » [« The village bike »], de la jeune dramaturge britannique, Penelope Skinner, créée à Londres en 2011 et que le public français a pu découvrir en 2015 au Théâtre des Célestins de Lyon (direction Claudia Stavisky).

Dans la scène traditionnellement dite « d’exposition », on « n’expose » justement rien : seuls les personnages semblent savoir de quoi ils parlent entre eux ; encore que, justement, ils n’en soient peut-être pas si sûrs, voire : peut-être qu’ils ne parlent pas vraiment des mêmes choses, sans le savoir, du fait du fossé qui sépare, très souvent, l’intention ou la pensée, du verbe qui prétend en faire état. Ce malentendu, cette incapacité à pouvoir s’entendre, égarent tout autant le Spectateur que les personnages qui, eux-mêmes, semblent émerveillés et effrayés par ce qu’ils ne parviennent pas à formuler par les mots : découvrant notamment la première scène de l’œuvre, nous pensons tout d’abord assister à la représentation d’une pièce du répertoire du théâtre dit « de l’absurde » ou, plutôt, « de l’insolite », si on s’en tient à la définition d’Eugène Ionesco. Harold Pinter ou, encore, Samuel Beckett ne sont pas non plus les pires références que l’on puisse évoquer pour situer l’ascendance d’un dramaturge ni, surtout et dans le cas qui nous intéresse, la pire entrée en matière, pour un spectacle, puisque cette parole hésitante, blessée, meurtrie, trahit, par avance, l’hésitation, la blessure et la meurtrissure dont nous découvrons bientôt qu’elles caractérisent chacun des personnages du « quartet », car c’est de cela, qu’il pourrait s’agir : deux hommes et deux femmes et, pourtant, chaque scène les réunit successivement deux par deux. Nous attendons, impatiemment tout autant que vainement, le moment ou les « duos » deviendraient « trios » puis, approchant de la fin, le moment où les « trios » seraient enfin devenus « quartet » ; mais ce moment, réunissant tous les caractères, n’interviendra jamais car, depuis que le meurtre qui précède et fonde l’action quinze ans auparavant, est consommé, le « quartet » est éparpillé sans espoir de retour, alors que sa réunion provoquerait peut-être la discussion fondamentale qui déferait tous les nœuds dans lesquels chacun ne peut que survivre, entravé ?

Probablement est-ce ce que nous dit l’auteur : la parole est essentielle, mais elle ne suffit pas ; encore faut-il savoir à qui l’adresser et, surtout : qu’elle parvienne à tous, et que tous puissent l’entendre et participer à l’élaboration du discours qui nous englobe. En effet, le huis-clos à quatre, jamais ne se réconciliera sous la forme d’un « quartet » comme c’est paradoxalement le cas, pour un accouchement extrêmement violent et douloureux, lors du moment paroxysmique de la pièce « Qui a peur de Virginia Woolf » d’Edward Albee, le dramaturge américain récemment disparu, que nous évoquions plus haut. Chez Yann Reuzeau, l’impossible réunion du « quartet » est probablement ce qui permet la substance-même de la pièce. Dans le cours de cette parole, les hésitations sont nombreuses, la fin des phrases reste souvent en suspens ; aussi, ce sont donc tout autant de « mal-dits » et de non-dits que l’écriture nous laisse entrevoir, qui peut encore nous faire penser à la parole d’Edward Albee, nous donnant à voir l’imprécis qu’on voudrait préciser sans y parvenir jamais mais, surtout, nous donnant à voir tous les efforts que l’on fait afin d’y parvenir.

Nous sommes tous des criminels. 

 

Fondamentalement, ainsi que certains Spectateurs l’ont perçu, tous les personnages sont des « criminels ». De façon active aussi bien que passive, ils sont tout autant « criminels » les uns que les autres, ce que nous montre assez bien ce théâtre psychologique, dont l’interprétation semble parfois inspirée par la méthode américaine de « l’Actors Studio ». On voudrait parfois que l’incarnation contiennent plus de détachement et permette au Spectateur un regard plus distancié sur la gravité des événements qu’on porte à son attention. En effet, le jeu des acteurs se veut intense ; pourtant, la pièce nous offre à voir de très beaux personnages, au contours nets et précis, singuliers, et dont la densité intérieure nous inquiète et nous dérange heureusement, nous incitant à un retour sur nous même, comme en miroir : que ferions-nous à la place de ces différents caractères ? C’est ainsi que la fonction première du théâtre, « miroir de la société » qui nous invite à la réflexion, s’accomplit remarquablement dans le spectacle « Criminel » porteur de la riche parole d’un auteur de nos contemporains.

Un commentaire

  1. Il est resté 15 ans derrière les barreaux…..Et un simple mail annonçant sa libération vient tout déséquilibrer dans son entorage!!!!La pièce se focalise sur l’assassin et 3 proches dont la vie s’est reconstruite tant bien que mal …Rien n’échappe la manipulation durant le procès , les mensonges , les silences et les amours et désamours . Mais le procès et la condamnation ont-ils permis de faire toute la lumière sur ce crime commis?????La pièce entre présent et souvenirs, nets ou flous du reste est superbement construite et les 4 acteurs nous transportent dans une réflexion où tout le monde est pris en otage par ce qui c’est passé et que le sac de noeuds n’est pas aisé à dénouer, même l’assassin a une vue brouillée sur ses agissements et la façon dont se sont déroulés les faits!!Et une fenêtre supplémentaire s’ouvre en plus sur ce risque que la violence se perpétue avec sa propre descendance car cette agressivité est-elle héréditaire ? Cette pièce entraîne bien des questionnements et déroute….Nos certitudes!!! Oui, à voir…..

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