Par Marie-Christine pour Carré Or TV
Bouleversant !
Le projet de Passeport a mûri longuement, exigeant un maximum d’informations sur les plans historique, administratif, médical… avant de se lancer dans l’écriture puis dans la mise en scène.
Son auteur, Alexis Michalik, est à l’origine de cinq pièces de théâtre à grand succès, toutes jouées sans interruption :
- Le Porteur d’histoires
- Le Cercle des illusionnistes
- Edmond
- Intra-Muros
- Une histoire d’amour
On ne compte plus les Molières décernés à Alexis Michalik en tant que scénariste, réalisateur et bien sûr écrivain !
Pour cette nouvelle pièce, il est aidé dans la mise en scène par Clotilde Daniault. Sept comédiens montent sur la scène du Théâtre de la Renaissance :
- Jean-Louis Garçon (Issa)
- Christopher Bayemi (Lucas)
- Ysmahane Yaqini (Yasmine)
- Manda Touré (Jeanne)
- Kevin Razy (Arun)
- Fayçal Safi (Ali)
- Patrick Blandin (Michel et sept autres personnages !)
Comme à son habitude, Alexis Michalik commence l’action par la fin. L’histoire jouée sous nos yeux pourrait être celle de nombreux immigrés ayant traversé un parcours chaotique et souvent terrifiant avant d’échouer dans cette ville du nord de la France : Calais.
L’action remonte à l’époque de « la jungle de Calais », où des milliers de réfugiés – Afghans, Syriens, Somaliens, Érythréens – étaient entassés dans des camps de fortune. Le centre d’accueil de Sangatte devient rapidement un véritable enfer. Tous n’ont qu’un seul but : rejoindre l’Angleterre. Mais pour des raisons politico-administratives, ils se retrouvent de plus en plus nombreux, prisonniers à Calais. La tension monte, les heurts et bagarres violentes entre ethnies sont monnaie courante, certains y laissent même la vie.
Issa, immigré gravement blessé et défiguré, est sauvé in extremis par une aide humanitaire. Hospitalisé, inconscient, il souffre d’un œdème cérébral sévère. À son réveil, il est amnésique. Son seul indice : un passeport indiquant qu’il vient d’Érythrée. Bien qu’il ait oublié son passé, quelques mots de français lui reviennent, et il semble comprendre la langue. Il doit alors réapprendre presque tout, y compris l’histoire de son propre pays, pour passer le grand oral et obtenir la fameuse carte de séjour.
Le problème de l’identité est au cœur de cette pièce. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ?
Issa est entouré de deux autres réfugiés : Arun, un Indien tamoul, et Ali, un Syrien. Deux cultures différentes, mais un même objectif : vivre en France. Ce trio, résolu à ne plus rêver d’Angleterre, doit d’abord trouver un emploi, un toit, et surtout obtenir le Graal : la carte de séjour.
En parallèle à l’histoire d’Issa, celle de Lucas, un gendarme né à Mayotte et adopté à l’âge de trois ans par un couple de Français, se développe. Son père adoptif, Michel, militaire de profession, lui a donné une éducation stricte, centrée sur l’ordre. Lucas, docile et sans histoire, ne s’est jamais posé la question de son identité. Son travail consiste à surveiller les réfugiés du camp de Calais, un travail qu’il voit comme n’importe quel autre, jusqu’à sa rencontre avec Jeanne, une journaliste toulousaine d’origine malienne. Jeanne est curieuse, directe, et fouille pour comprendre les réalités.
Invitée à dîner chez les parents de Lucas, elle surprend Michel, qui aurait préféré voir son fils en couple avec une Française « de souche ». Il oublie que Lucas est lui-même originaire de Mayotte. La tension monte, et Jeanne quitte précipitamment la table, ce qui nous pousse à nous questionner : qu’aurions-nous fait à la place de Michel ou de Jeanne ?
Michel, caricaturé en père militaire réactionnaire, éveille des interrogations malgré lui. Lucas, pour la première fois, se rend compte qu’il a négligé l’essentiel : qui sont réellement ces réfugiés qu’il surveille ? Que faisaient-ils avant de se retrouver à Calais ? Et lui-même, quelles sont ses origines ? Qui était sa mère biologique, cette femme qui l’a abandonné pour lui offrir une meilleure vie ?
Alexis Michalik ne prétend pas avoir écrit une pièce politique, encore moins vouloir provoquer la polémique. Il cherche avant tout à susciter de l’empathie chez les spectateurs. Que ferions-nous à la place de ces immigrés ?
Passeport se veut optimiste, avec beaucoup d’humour, bien que le sujet soit délicat. Fidèle à son style, Michalik nous transporte en 1h40 à travers des décors spectaculaires, montés à une vitesse record. La scénographie est signée Juliette Azzopardi, assistée d’Arnaud de Segonzac. On se souvient de ses superbes décors dans L’embarras du choix, La Maison du loup, Le Petit Coiffeur, etc.
Pour dynamiser l’ensemble, l’auteur a fait appel à Nathalie Cabrol pour les vidéos. Récompensée en 2022 pour la création visuelle des Producteurs, elle nous surprend à nouveau ici.
Tous les comédiens de Passeport nous touchent profondément. Bien que la plupart soient nés en France, leurs parents sont issus d’Afrique, d’Asie… Ils sont donc les témoins vivants d’une intégration réussie et apportent une note d’espoir.
Allez applaudir Passeport au Théâtre de la Renaissance. Une pièce qui vous interpellera et ne vous laissera pas indifférent, sans doute le défi qu’Alexis Michalik voulait relever.