Artiste :
Gaelle Billaut-Danno, François Feroleto, Yannick Laurent
A l’affiche :
Jusqu’au 8 octobre 2017
Lieu :
Théâtre Le Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs
75006 PARIS
Par Ingmar Bergmann pour Carré Or TV
L’intensité d’un texte
pour un trio envoutant
Trahison triangulaire.
Un homme et une femme et encore un homme…
C’est l’étrange histoire d’un amour à trois qui nous est racontée par le spectacle « Trahisons » du dramaturge britannique et Prix Nobel de littérature Harold Pinter, actuellement à l’affiche au Théâtre du Lucernaire.
Dans cette atmosphère d’alcool et de mondanités, trois égoïsmes s’affrontent, et plusieurs trahisons se superposent : entre le mari et la femme, entre la femme et l’amant, entre le mari et l’amant et, comme nous le dit le metteur-en-scène Christophe Gand : entre chacun et ses idéaux.
Elle est mariée, elle trompe son mari avec le meilleur ami de celui-ci.
Il est marié, il trompe sa femme avec la femme de son meilleur ami.
Pinter brillamment servi
par des comédiens de grande qualité
Il est marié, il se sait trompé par sa femme avec son meilleur ami, et ne dit rien, car on risquerait de se méprendre sur la réalité du préjudice qu’il endure.
Comme nous le dit le metteur-en-scène Christophe Gand, qui a déjà monté la pièce « Le monte-plats », du même auteur, au Théâtre de Poche-Montparnasse (direction Philippe Tesson, Stéphanie Tesson et Charlotte Rondelez) en 2016, tous les ingrédients sont réunis pour un vaudeville ; pourtant, quand on attend la « révélation », qui correspond généralement au moment où sont confondus les coupables amants, le Spectateur est saisi.
En effet, au jeu de savoir qui se sentirait légitimement « le plus trahi » des trois, la palme est difficile à attribuer.
L’amant, interprété par Yannick Laurent, dont la trahison de son meilleur ami n’entraîne aucun règlement de comptes entre eux deux ?
L’épouse, interprétée par Gaëlle Billaut-Danno, dont l’infidélité ne suscite pas de réaction apparente de la part de son mari, peut probablement se sentir trahie aussi.
Le mari, interprété par François Feroleto, dont la trahison qui lui pèse le plus, n’est peut-être pas celle de son épouse, infidélité terriblement convenue de la société bourgeoise et à laquelle il s’attendait peut-être ; mais celle de son meilleur ami qui ne lui fait pas suffisamment confiance au point de s’ouvrir à lui à l’endroit de son désir pour sa femme.
C’est ainsi que, souvent, nous prenons pour de l’indifférence ce qui, peut-être, n’est qu’un moyen de ne pas sombrer dans l’hystérie destructrice et, dans un second temps, une manière d’acquiescement tacite impossible à formuler ; car, trop indécent et discréditant socialement : Harold Pinter écrit cette pièce dans les années soixante-dix du vingtième siècle et, jusqu’à une période récente, la société n’admettait généralement pas que l’on soit aussi libéral dans tout ce qui a trait aux inclinations amoureuses non conventionnelles et à l’empire des sens, dès lors que les institutions du mariage et de la famille étaient à proximité.
La mise en scène est efficace et précise.
Comme le fait remarquer l’actrice Gaëlle Billaut-Danno, les années 1968-1977, durant lesquelles se déroule précisément l’action, constituent une période-charnière, notamment pour la femme. La société regarde la femme différemment ; la femme se regarde différemment.
Pourtant, des questions cruciales continuent d’agiter les esprits, peut-être parce que l’on ne sait pas toujours avec quels mots les poser…
Comment formuler que l’on aime la femme de son meilleur ami notamment parce qu’elle est la femme de son meilleur ami, que l’on aime que sa femme soit heureuse avec son meilleur ami ou, encore, que l’on choisisse comme amant le meilleur ami de son mari ?
Telle qu’elle est écrite et représentée, la pièce se joue à reculons, de la dernière scène à la première scène de l’histoire d’amour et d’amitié, ce qui est parfaitement inhabituel, et qui déplace l’enjeu dramatique et nous libère de la traditionnelle prépondérance de l’intrigue, car le Public se retrouve placé en une position de voyeur et de domination, puisqu’il « connaît la fin ».
La décence n’est pas toujours heureuse, avec les auteurs de théâtre contemporains ; mais les questions qu’ils nous amènent à nous poser, ne nous laissent pas indifférents, car nous savons tous qu’entre la théorie et l’expérience, l’être humain se déplace à tâtons…
C’est l’un des mérites d’une irréprochable distribution, élégamment dirigée par Christophe Gand, de nous permettre d’accéder à l’essence de ce texte en partie autobiographique, puisqu’il est notamment inspiré par l’expérience réelle de son auteur, qui fréquentait l’épouse d’un autre et qui s’est senti, lui-même, trahi, lorsqu’il a su qu’elle avait connu un autre homme en même temps qu’elle allait avec lui.
Dans la tradition du « théâtre à décor », exploitant un dispositif constitué des mêmes éléments qui se transforment incessamment grâce au virevoltant Vincent Arfa, la scénographie de Goury et le décor de Claire Vaysse explorent, assument et revendiquent le mariage d’un certain réalisme et d’un certain symbolisme, que le Public apprécie particulièrement, et qui s’accorde avec les costumes de Jean-Daniel Villermoz, pour suggérer avec finesse, sous nos yeux, une autre époque que la nôtre, ce qui nous permet d’appréhender l’action avec un surcroît de recul.
Le Public aime aussi l’évocation subtile d’un certain monde, intellectuel et littéraire, de la tendance à l’élitisme du marché économique afférent et de toute une dimension « internationale » sous-jacente, faite de concurrence mesquine et de jalousie, peut-être la seule jalousie dont il est effectivement question dans cette œuvre. Tout cela transparaît, en arrière-plan, dans les conversations des personnages entre eux, ce qui fait de ce huis-clos à trois, l’échantillon d’une fraction d’humanité beaucoup plus large, raisonnant aussi de nos craintes et de nos peurs actuelles, et qui nous englobe tous.
Comme chez Wolfgang Amadeus Mozart, le silence après Harold Pinter est encore du Harold Pinter, et se remplit de nos interrogations, à fortiori si nous sommes intrigués et passionnés par l’humain.
Le texte concis de Pinter y est formidablement bien servi. Avec un jeu incisif, subtil, caustique, on retrouve une belle ironie saxonne dans ce triangle amoureux retro-éclairé par une mise en scène toute en dentelle. Coup de coeur pour Gaelle Billaut-Danno et mention spéciale pour les costumes. Exercice très réussi.
Grâce au talent des comédiens le triangle amoureux est rendu avec toute la complexité des sentiments et des situations. Très bon moment.
Nous avons passé une excellente soirée …cette pièce est trés intéressante et nous interpelle en tant que spectateur. Les décors sont supers et lea acteurs jouent avec brio. Beaucoup de supens…à voir absolument !!!