Par Marie-Christine pour Carré Or TV
Un voyage hors du temps !
Plus de 650 lettres échangées entre Théo et Vincent Van Gogh : c’est sur la base de cette correspondance que les auteurs de Deux Frères pour une vie, Ghislain Geiger et Julien Séchaud, ont construit leur pièce. Ils ont dû analyser ces échanges épistolaires sur une période d’environ 18 ans.
En raison de l’instabilité de caractère de Vincent, ce dernier n’a pas conservé, contrairement à son frère, toutes les lettres de Théo. Geiger et Séchaud interprètent cette œuvre sur la scène du Guichet Montparnasse pour la troisième saison consécutive, où Ghislain Geiger incarne Théo, tandis que Vincent est joué par Julien Séchaud.
Nés respectivement en 1853 et 1857, l’aîné des deux frères n’est pas celui auquel on pourrait penser. Théo, le cadet, fait preuve de maturité et de sérieux dans ses lettres, adoptant un ton protecteur. Tout laisse à penser qu’il est le point d’ancrage pour ce frère instable, en quête perpétuelle d’absolu.
Vincent commence sa vie professionnelle comme apprenti chez Goupil & Cie, une firme spécialisée dans la vente de tableaux. Il change ensuite de voie et devient prédicateur auprès des mineurs du Borinage en Belgique. À cette époque, il est très attiré par la religion et aspire à devenir pasteur, mais ses excès l’empêchent de réaliser ce rêve. Il en va de même pour sa vie amoureuse, marquée par des échecs successifs. Sensible, il s’éprend même d’une prostituée enceinte. Son frère Théo, marchand d’art, essaie de le conseiller et de l’encourager dans sa quête de stabilité.
Théo ne s’oppose pas à la vocation artistique de Vincent, mais insiste pour qu’il suive des cours afin de se perfectionner. Vincent s’inscrit alors à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles. Ses relations avec son père sont tendues et il multiplie les retours au domicile familial aux Pays-Bas. Il part ensuite pour La Haye, où il prend des leçons de peinture, tout en entretenant une correspondance abondante avec sa mère et ses sœurs.
L’aîné des frères Van Gogh, ultra-sensible, dépend beaucoup du soutien de Théo, son pilier. Bien que les relations entre les deux frères soient parfois conflictuelles, ils ne rompent jamais le contact. Théo voit en Vincent un artiste et l’encourage dans cette voie en lui prodiguant conseils et soutien financier. Il finit même par décider de vendre ses tableaux plutôt que de lui verser une pension.
En 1886, Vincent rejoint Théo à Paris, où il s’imprègne des courants artistiques de l’époque et rencontre Signac, Seurat, Gauguin, Pissarro et Toulouse-Lautrec. Il s’installe ensuite à Arles, dans la « Maison Jaune », avec Gauguin. La pièce débute et se termine par la même image : un cimetière à Auvers-sur-Oise en juillet 1890. Théo, en deuil, tient un tournesol en main pour l’enterrement de Vincent, décédé à 37 ans.
Les échanges entre les deux frères sont essentiels ; chacun fait un monologue de son côté, mais trois véritables dialogues rythment la pièce : au Borinage, à La Haye, et à Paris. Le décor sobre, avec chaises, matelas, cimaises et quelques étoffes colorées, symbolise les couleurs qui marquaient l’univers de Vincent. Chaque frère a son propre espace scénique, et la chronologie des événements est respectée avec fidélité.
Vincent commence réellement à peindre en 1880, et l’ensemble de son œuvre sera réalisé dans les dix dernières années de sa vie. Théo ne réussira à vendre qu’une seule de ses toiles, La Vigne rouge, à Anna Boch pour 400 francs. Nous suivons Vincent dans la lumière de Provence, où il crée Les Tournesols et Les Moissons. Ses relations tumultueuses avec Gauguin, ses crises de démence et son oreille coupée lui valent un suivi médical. Interné à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence, il continue à peindre avec frénésie.
Sa dernière étape est Auvers-sur-Oise, où il reçoit les soins du docteur Gachet. Il peint et dessine sans relâche, notamment L’Église d’Auvers-sur-Oise et Champ de blé aux corbeaux. Sa dernière toile, Racines d’arbres, précède le coup de revolver qui lui sera fatal.
Ghislain Geiger et Julien Séchaud sont remarquables, exprimant avec intensité les liens profonds qui unissent les deux frères malgré les épreuves. Seul Théo croit au talent de Vincent. Bien que lui-même malade de la syphilis, Théo, alors âgé de seulement 34 ans, ne survivra que quelques mois à son frère.
Deux Frères pour une vie est une pièce émouvante, pleine de contrastes entre lumière et ombre, folie et raison, où l’amour fraternel transcende toutes les épreuves. Un moment théâtral touchant et poétique, à découvrir au Guichet Montparnasse.